Aucun observateur attentif de la Chine n’aura été surpris par la récente annonce du changement constitutionnel  supprimant la limite du nombre de mandats présidentiels. C’est plutôt le timing de cette décision qui appelle à la réflexion.

L’Histoire nous enseigne que seuls des régimes momentanément faibles confient les pleins pouvoirs à un seul homme. En quoi la Chine, présentée en Occident comme la puissance montante du moment, serait-elle sujette à des faiblesses telles que son organisation politique accepte d’abandonner ainsi l’approche collégiale de l’ère post-maoïste ?

Envolée de la dette

Un tel renforcement politique à la tête de l’Etat ne peut s’expliquer que par le besoin impérieux du régime d’engager enfin les réformes repoussées depuis l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir en 2012. L’impressionnante croissance du PNB chinois depuis la crise de 2008 n’aura en fait été que le fruit de l’augmentation tout aussi rapide de la dette, de plus de 100 points de PNB.

L’endettement s’emballe à un rythme deux fois plus élevé qu’en Occident et pourtant la productivité chinoise plafonne au quart de celle des Etats-Unis. Ces forces contraires ont donc naturellement amené le président Xi, lors du dernier congrès, à repousser la « Chine prospère » aux années 2035-2050, et à consacrer l’ère 2020-2035 à la construction de la « Chine moderne ».

 Encore faut-il bien comprendre la notion de « réforme aux caractéristiques chinoises ». En remettant la libéralisation des marchés à plus tard, le gouvernement veut d’abord s’attaquer aux deux principales racines de l’allocation hautement inefficace des ressources : d’abord la corruption à tous les niveaux administratifs – et plus seulement à l’intérieur du Parti communiste -, ensuite la gabegie des dépenses publiques locales, la recentralisation du pouvoir devant mettre fin au laxisme des régions.

Réformes très lourdes

Trois « batailles décisives » ont été clairement identifiées : la lutte contre la pauvreté d’abord, qui ne saurait cacher cependant les immenses disparités de richesse ;  la lutte contre la pollution ensuite,puisque la protection de l’environnement devient enfin crédible grâce à l’introduction pour la première fois de critères qualitatifs dans ses objectifs de croissance ; et la lutte contre les risques financiers, enfin.  La « finance de l’ombre », seule source de financement alternative au système bancaire traditionnel, est en effet estimée par le Financial Stability Board à la bagatelle de 7.000 milliards de dollars, soit plus de 60 % du PNB.

La Chine risque de continuer à nous surprendre par son modèle unique de pouvoir extrêmement fort.

C’est le principal défi qui s’offre au président Xi : ces très lourdes réformes vont prendre place à une époque inédite sur le plan social, menacée par la concomitance sans précédent d’inégalités croissantes et affectant à la fois le capital et le travail : les taux exceptionnellement bas vont continuer de profiter seulement à une élite très restreinte, tandis que l’adoption à marche forcée de l’intelligence artificielle affectera près de la moitié des emplois, principalement à faible qualification.

C’est là que peut mieux se comprendre le timing du sacre du nouvel « Empereur Xi » : seule une « Xibercratie » pourra se révéler capable de gérer le coût social de la modernisation retardée du pays. La Chine risque de continuer à nous surprendre par son modèle unique de pouvoir extrêmement fort, mais tenue à une obligation de résultat par les pressions quotidiennes, à travers les réseaux sociaux, d’un des peuples les plus indociles de la planète.

LE CERCLE/POINT DE VUE –

David Baverez est investisseur, installé à Hong Kong depuis 2011. Il est l’auteur de « Paris-Pékin Express » (Editions François Bourin, 2017)

 image : Xi Jinping, le président chinois. – Chine Nouvelle/Sipa