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18/11/17 | 18 h 36 min par Brahma Chellaney - France Tibet

PEKIN : Nouveau front dans la « Guerre de l’Eau »… en Asie

Floodwater gushing out of Longtan Dam in China

 

 

Durant des décennies, autour des problèmes liés à l’eau, la Chine a mené envers ses voisins une partie de poker à hauts enjeux. Toutefois, en décidant, pour des motivations politiques, de ne pas partager ses informations hydriques avec l’Inde, Pékin  en vient à une véritable escalade d’efforts pour utiliser au maximum son statut hégémonique de grande puissance de l’eau afin d’ asseoir une stratégie faisant pression sur ses voisins.

New Dehli – Cela fait longtemps que la Chine envisage l’eau comme une arme stratégique, de celle que les leaders de ce pays n’ont pas de scrupules à mettre en avant pour parvenir à  leurs fins de politique extérieure. Après avoir pendant des années utiliser sa main mise sur la quasi-totalité des fleuves transfrontaliers de l’Asie en vue de modifier leurs cours, la Chine est désormais en train de pratiquer la rétention d’informations, quant aux données hydriques, comme moyen de pression sur les pays situés en aval, l’Inde en particulier.

Pendant des décennies, la Chine a forcé ses voisins à des parties de poker géopolitique, à forts enjeux, autour de problèmes liés à l’eau. Grâce à son annexion militaire du Tibet et d’autres territoires non-Han appartenant à d’autres ethnies chinoises – des territoires qui comptent pour 60% de sa surface – la Chine s’est constituée une hydro-hégémonie* sans rivale. Elle possède le plus grand nombre de sources de cours fluviaux transfrontaliers qu’aucun autre pays.

Ces dernières années, la Chine a travaillé dur pour exploiter ce statut afin d’augmenter la pression sur ses voisins, construisant sans relâche des barrages en amont des fleuves internationaux. La Chine abrite désormais plus de barrages que le reste des pays du monde réunis, et les constructions se poursuivent, mettant ainsi ses voisins en aval – tout particulièrement les Etats du vulnérable bassin méridional du Mékong, le Népal et le Kazakhstan -.

Jusqu’à ce jour, la Chine a refusé tout traité de partage des eaux avec quelque pays que ce soit. Toutefois, elle se doit de partager quelques données hydrologiques et météorologiques nécessaires aux pays en aval, en prévision des inondations et de la planification des secours en conséquence, en vue de la protection des vies et  de la réduction des pertes matérielles.

Pourtant, cette année, la Chine a décidé de priver l’Inde de telles données, sapant l’efficacité des systèmes d’alerte pendant la saison de la mousson. Avec pour résultats, malgré des précipitations normales dans les territoires du Nord-Est de l’Inde traversés par le Brahmapoutre – venant du Tibet et se dirigeant vers le Bangladesh – cette région a connu des inondations sans précédent aux conséquences dévastatrices, tout particulièrement dans l’état d’Assam.

La décision de rétention d’informations de la part de la Chine n’est pas seulement cruelle ; elle enfreint également ses obligations internationales. La Chine fait partie des trois seuls pays [ avec le Burundi et la Turquie, NdT ] qui n’ont pas ratifié la Convention de l’ ONU de 1997 sur l’utilisation des cours d’eau non navigables, La Chine avait mis en avant l’ application d’ un accord bilatéral d’ engagement quinquennal  [ avec l’Inde ] qui expirera en 2018, accord qui stipule le partage journalier des données hydriques et météorologiques de ses trois stations hydrométriques tibétaines sur le Brahmapoutre et ce durant la période à haut risque d’inondations s’étendant du 15 mai au 15 octobre. Un accord similaire a été créé en 2015 concernant le fleuve impétueux qu’est la Sutlej. Ces deux accords ont été décidés suite à des inondations brèves et soudaines qui avaient ravagées de façon répétée les Etats indiens de l’Arunashal Pradesh et de l’Himachal Pradesh, il avait été suspecté des largages d’eau de la Chine depuis ses projets [de barrage] au Tibet.

Contrairement à d’autres pays qui offrent leurs données hydriques à leurs voisins en aval, la Chine facture ce service (la Convention onisienne sur les eaux non-navigables requiert la gratuité du partage d’informations, une règle qui aurait fait partie des raisons de non ratification de la part de la Chine).

Mais c’était un prix que l’Inde avait accepté de payer. Et cette année, comme les années précédentes, l’Inde avait payé le montant fixé. Pour autant elle n’a pas reçu l’objet de son paiement et après quatre mois le Ministère des Affaires étrangères Chinois déclarait que ces stations étaient soit en « modernisation » soit en « rénovation ». Une déclaration fallacieuse : la Chine avait partagé ses données sur le Brahmapoutre avec le Bangladesh.

Trois semaines plus tôt, le journal officiel chinois Le Global Times offrait une explication plus plausible : le non transfert d’information a été intentionnel, du fait du supposé non respect du territoire national chinois par l’Inde, quant au territoire reculé du Doklam en Himalaya. Pendant la quasi-totalité de l’été cette dispute a pris la forme d’un face à face militaire au niveau de la jonction des frontières du Bhoutan, du Tibet et de l’Etat indien du Sikkim.

Mais même avant cette dispute de la mi-juin, la Chine s’agitait devant le boycott indien quant à sa participation au Sommet du 14 et 15 mai qui promouvait le projet « One Belt, One Road ». Le refus de partage de données commença apparemment comme une intention de punir l’Inde pour sa condamnation du gigantesque projet international chinois comme une entreprise opaque et néocoloniale. L’intention chinoise de rétention d’informations aura ensuite été renforcée par le conflit au Doklam.

Pour la Chine, il semble que les accords internationaux ne soient plus contraignants dès qu’ ils ne conviennent plus à sa politique. Cette interprétation est éclairée par la violation chinoise du Pacte de 1984 avec le Royaume-Uni par lequel la Chine retrouvait la souveraineté de Hong-Kong en 1997. La Chine déclare qu’en vingt ans, l’accord basé sur la formule « un pays, deux systèmes » a perdu « son sens pratique. »

Si nous inversons les rôles, avec une Chine en aval qui aurait accusé de façon virulente une Inde située en amont pour avoir amplifié des inondations causant mort et destruction en rompant ses obligations internationales. Mais de la même manière que la Chine revendique de façon unilatérale et avec agressivité des territoires maritimes en Asie, elle utilise son contrôle technique des courants fluviaux et la rétention de ses informations hydriques pour amplifier son pouvoir régional.

De fait, la rétention d’informations sur ses données hydriques, malgré un impact fort probable sur une population civile vulnérable, pose un dangereux précédent d’indifférence aux considérations humanitaires. Cela met également en lumière comment la Chine met au goût du jour des outils non-conventionnels de diplomatie coercitive, dont font partie le boycott officieux de marchandises d’un pays donné, l’ arrêt d’exportations stratégiques – telles les terres-rares – et la suspension des voyages de touristes chinois.

En prenant le contrôle des eaux, une ressource vitale pour des millions d’êtres vivants et de leurs moyens de subsistance, la Chine peut faire d’un pays son otage sans même faire feu, ne serait-ce qu’une seule fois. Dans une Asie sous pression hydrique, dompter les ambitions hégémoniques de la Chine devient désormais un des plus grands challenges stratégiques.

* Précision du traducteur : « Les puissances hydro-hégémoniques sont des puissances qui possèdent suffisamment de pouvoir au sein d’un bassin versant pour assurer la direction du contrôle des ressources en eau et agir ainsi comme un leader vis à vis des autres pays riverains du bassin. » réf : Zeitoun M.& Warner J. (2006) : hydro-hégémony : a Framework for Analysis Transboundary Water Conflicts. Water Policy 8 : p 430 – 460

L’auteur, Brahma Chellaney est géostratège, universitaire, essayiste et chroniqueur. Il enseigne au Centre de Sciences Politiques de New-Delhi, est membre de l’ Académie berlinoise Robert Bosch et travaille pour le Centre International d’Etudes sur la Radicalisationau King’s College de Londres.

Article publié le 10 octobre 20017

Traduction France Tibet

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