« Il devrait y avoir plus d’une voix dans une société saine« . Ce propos de Li Wenliang, le médecin de Wuhan dont la mort a déchaîné dans la nuit du 7 février une tempête sur les réseaux sociaux chinois, a fait la une du site international de Caixin (mais non celui du site chinois), le média le plus en pointe dans l’information sur l’épidémie. Les internautes auraient cliqué 1,5 milliard de fois en 24 heures sur son nom. Un hashtag, « je veux la liberté d’expression », aurait fait l’objet de trois millions de clicks avant de disparaître. Le 11 février, un autre hashtag dénonçant la propagande qui incite les personnes âgées à faire don de leur retraite a été vu 60 millions de fois. L’expression « ce monsieur » (nageren), périphrase désignant Xi Jinping, a dû être bannie de la toile. À nouveau, des intellectuels signent des pétitions pour la liberté d’expression.
La Chine n’est plus celle de l’époque du sang contaminé ou du SRAS. Toute la population utilise les réseaux sociaux, et plus encore en situation de confinement volontaire ou imposé pour une partie d’entre elle. Le contrôle de ces médias fait face à un dilemme : il est difficile d’enrayer un raz de marée à moins de fermer l’internet. C’est une mesure techniquement possible et déjà appliquée au Xinjiang, mais qui s’apparenterait à un état de siège à l’échelle nationale dans les circonstances présentes. La fermeture sélective des comptes – une vraie mort sociale dans la Chine d’aujourd’hui – ne peut être étendue au-delà d’un certain point.
Le régime va donc devoir se faire provisoirement à un rapport de force modifié entre l’appareil et l’opinion publique, qui existe à nouveau de façon visible. Mais les observateurs feraient bien de ne pas en tirer des conclusions hâtives sur la perte du mandat du ciel ou sur une mise en cause ouverte de Xi.
Quand a-t-on su ?
La vérité – qu’à vrai dire nous ignorons tous ! – est sans doute plus contrastée. Le retard pris par les autorités centrales pour réagir aux informations provenues de Wuhan est patent. La meilleure enquête – de source chinoise – à ce jour est celle que China Change a traduite. À ce retard s’ajoute l’impéritie de l’action locale : un banquet de 40 000 personnes dans le centre de Wuhan le 18 janvier, célébré dans la presse locale, restera dans les annales. La structure du système de santé chinois – des hôpitaux et des dispensaires plutôt que des généralistes dispersés – ne favorisait pas la prévention de la contagion, bien au contraire. La transmission d’humain à humain, évidente dès les premiers jours de janvier à partir du cas des médecins, et antérieure pour d’autres patients, n’a été reconnue que le 20 janvier : l’OMS, et derrière lui des gouvernements étrangers peu curieux, ont d’ailleurs choisi de croire à la lettre ce qui était une dissimulation. Dans la montée des festivités du Nouvel An, la propagande habituelle sur le « dirigeant du peuple » ne s’était pas interrompue.
Qu’il s’agisse d’un réflexe de sycophantes ou d’une sous-estimation, celui qui est le commandant en chef et qui a enterré l’expression de « direction collective » en porte évidemment la responsabilité.